Pudeur et innocence. Quand elle avait offert son coeur à Rolland, tous deux avaient brûlé du feu de la passion, durant des années. Il n'y avait pas de meilleur moyen d'en finir qu'ensemble.
Il était loin, le temps où l'on effeuillait les pétales de l'amour, pour jouer à douter de l'autre. Cette certitude qu'ils se retrouveraient dans un monde meilleur, c'était ce qui l'avait convaincue, dans sa ruine, de se pendre au pommier.
Elle esquissa un sourire amer, et piétina quelques fleurs, pour froisser leur robe sanglante, par pure méchanceté, par frustration.
Rolland était parti le premier. Un craquement sec avait marqué le terme de son existence vaine, et elle n'avait pas osé regarder son visage serein.
Sinon, elle aurait manqué de courage. Ils s'étaient promis une libération commune.
Perchée sur un escabeau qui tremblait sous les frissons de son angoisse, elle avait serré la corde autour de son cou, avait pris une inspiration folle, et avait renversé le seul appui, perdant contact avec la terre ferme. Etranglée, dans un spasme dérisoire, elle avait attendu la mort, le tunnel, l'aube blanche, le réconfort.
Et soudain, un fracas avait précédé la chute. Elle s'était retrouvée à terre, meurtrie, suffoquant, déçue et seule, fatalement seule.
Ironie douteuse: le vent lui-même l'avait empêchée de rejoindre son amant dans la tombe; il avait foudroyé la branche de son dernier asile.
Plus aucun refuge. Elle lui devait la vie ? Il faudrait donc lutter, continuellement, enterrer le corps de Rolland, affronter la vieillesse, sans lui ? Son adversaire l'avait-il épargnée ou condamnée à souffrir encore ?
Les coquelicots semblaient noirs dans l'obscurité immense. C'était le soir. Il y aurait toujours du vent. Parmi les étoiles, elle attendit vainement de reconnaître son amant.
L'ennemi soufflait dans son cou, s'infiltrait sous ses haillons. Il la possédait tout entière. Il était le plus fort. Il avait pour lui l'immensité du ciel.