Le droit de savoir ( deuxième partie )

Bon, le problème, c'est qu'à mon réveil, j'étais persuadé d'avoir trente ans, d'être un joueur de foot de ligue un et d'être le père d'une petite Margot de cinq ans. Je croyais être un papa poule dont la fortune semblait assurée.

Pourquoi le passé ? Me demandez-vous. Pourquoi ne pas admettre que la vie continue même si un pan de cette mésaventure qui vous a conduit à l'hôpital, victime d'un traumatisme crânien, vous échappe à ce jour ?

C'est que je n'ai plus trente ans, madame. Je ne suis plus qu'un vieil homme usé, dont les os souffrent chaque fois qu'il pleut, à cause des années d'entraînement intensif, d'entorses et de foulures. Quand je me regarde dans le miroir, je ne me reconnais pas. Je suis un vieillard.

Voilà mon premier souvenir. Je commence par la fin. C'est parce que cette fin me définit, aujourd'hui, quand j'ai l'impression d'avoir été floué. On m'a volé trente ans de ma vie, docteur.

Qui cela ? " On ", dites-vous. Est-ce que vous imputez vos trous de mémoire à quelqu'un en particulier ? Un médecin ? Un proche ? Ou à une dépendance ? L'alcool ? Des drogues ?

Je vois à quoi vous pensez. Un sportif de haut-niveau... Il devait se doper. Cette opinion est répandue. Vous ne seriez pas la première à remettre mes facultés physiques en doute. Mais non, je vous l'assure. Seule la musculation intensive fut à l'origine de ma vigueur. La gonflette ne m'a pas bousillé le cerveau, doc'.

Comment pouvez-vous en être certain ? Après tout, votre mémoire vous joue des tours...

C'est que je me revois à l'entraînement. Je suis jeune, alors. Je fatigue. J'ai un point de côté. Mais je suis au-delà de la souffrance. J'ai tant de fois effectué les mêmes gestes, tant tiré sur mes muscles, que je ne sens presque plus mon corps. Tout est dans le mental. C'est devenu un rituel quotidien. Des gestes d'automate. De la sueur.

C'est bien, commentez-vous. Une impression récente ( la perception de votre reflet dans un miroir ) vous indique votre âge, mais c'est la mémoire qui vous rappelle votre parcours. Le sport a orienté votre vie. C'est donc le sport qui sera votre béquille, dans cette guérison prochaine.

Que vous rappelez-vous d'autre ? Un choc violent dans le passé par exemple ? Lors d'un match ? Une blessure ? Un premier traumatisme ?

Pourquoi y en aurait-il eu d'autres ?

Parce que votre corps n'est qu'un champ de mines, monsieur Gassal. Parce qu'il n'y a pas un de vos membres qui ne soit exempt de cicatrices ou de fractures... Alors, mettez par écrit ce dont vous vous souvenez.