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Le blog de Cendrine BERTANI

Le parcours d'une jeune romancière confrontée au monde de l'édition.

Le droit de savoir ( troisième partie )

Publié le 7 Janvier 2013 par Cendrine BERTANI in Nouvelles

J'ai dix ans. Je joue déjà régulièrement. Je suis ailier droit. Buteur, quand je le peux. Et l'occasion se présente assez souvent. L'entraînement occupe trois de mes soirées par semaine, mais je ne manque pas encore la classe pour le foot.

 

Ce sera le cas ensuite ? Me demandez-vous.

 

On peut le dire, en effet. J'ai arrêté les cours en quatrième, je crois.

 

Le regrettez-vous ?

 

Je ne sais pas. A huit ans, je rêvais de liberté, d'école buissonnière, de moins de contraintes, d'un univers sans devoirs, sans maître, uniquement consacré au ballon. Quand j'ai été libéré de l'école, c'est l'entraînement qui m'a imposé un rythme galérien, m'a privé de repos, et m'a arraché mes illusions d'enfant. J'étais un forçat, je devais des comptes, on m'imposait des résultats. J'ai toujours été prisonnier, doc'. Depuis que l'OL a vu en moi un jeune talent.

 

Pourquoi ne jouiez-vous pas pour les Verts ?

 

Cela vous étonne ?

 

Eh bien, nous sommes à Saint-Etienne...

 

L'hôpital Nord. Oui...

 

Vous avez joué au Chaudron ?

 

Possible. Ma vie m'a mené par bien des villes. Je n'ai pas toutes les cartes en mains. J'ai commencé sur Lyon. Puis-je me dire Lyonnais ? Je ne sais plus.

 

Reprenons: vous vous rappelez vos dix ans. Un événement précis ?

 

Mon anniversaire. Bon, cela fait deux souvenirs, voyez: je tiens le compte. Nous sommes loin des dix récits que vous exigez de moi. L'anniversaire de mes dix ans, ce fut un fait marquant.

 

Une belle fête, peut-être ?

 

Ah, vous pouvez suggérer ce que vous voulez, doc'. Je doute que vous voyiez où cela nous mène. Ce souvenir n'est pas joyeux. Mon père est mort ce jour-là.

 

Mais c'est horrible ? Qu'est-ce qui a causé sa mort ?

 

Une allergie. A l'arachide, je crois. Papa prenait des précautions. Mais le gâteau n'avait pas été fabriqué " maison ". il nous avait été livré par un pâtissier. Nous avions - Maman avait – pourtant donné des consignes au traiteur. Il eut des ennuis, d'ailleurs, ensuite. Un procès qu'il perdit. Mais qui ne nous consola pas, bien sûr. C'est avec les dommages et intérêts que j'ai pu payer mes équipements. Je dois mon parcours au sacrifice paternel. J'ai son sang sur mes baskets.

 

Triste souvenir, mais ne tombez pas dans une dérive mélo-dramatique, dites-vous avec sollicitude. Je résume : votre père est décédé trop tôt. Votre jeunesse... Eh bien, vous êtes devenu l'esclave du ballon, et vous associez les jours de fête au décès de votre papa.

Vous êtes ensuite devenu père vous-même ?

 

Oui, tôt. A vingt-cinq ans.

 

Vous avez une fille, avez-vous dit. Où vit-elle à présent ?

 

Je voudrais me le rappeler. Vraiment. C'est horrible, ce sentiment de ne plus savoir où j'en suis, qui j'ai été, ne pas savoir qui appeler... N'avez-vous pas trouvé dans mes affaires le numéro de mon épouse ? De ma mère ? De ma fille ?

 

Rien. Nous n'avons rien trouvé d'autre que votre revolver, monsieur Gassal.

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